Parole de certifiée : Amy Pasquet, co-gérante du Domaine Pasquet à Bellevigne en Charente
Rencontre avec Amy Pasquet, viticultrice à Bellevigne aux côtés de son mari Jean. Sur cette exploitation familiale, la conversion à l’Agriculture Biologique a commencé dans les années 90 et a abouti à la certification en 1998. En 2024, Amy a participé au groupe pilote chargé de tester la nouvelle démarche de certification de la filière, qui décompte et intègre désormais les certifiés AB et HVE en plus des certifiés CEC et laisse davantage de choix.
Pouvez-vous nous présenter votre domaine et expliquer votre engagement dans l’Agriculture Biologique ?
Notre exploitation familiale de 15 hectares, située entre Bellevigne et Birac, est engagée en Agriculture Biologique depuis 1998. La conversion avait commencé dès 1993, initiée par le père de Jean, Jean-Luc, convaincu après une réunion à la Chambre d’Agriculture sur l’impact du bio sur la terre et la vigne. Il a souhaité aller plus loin en recréant un système naturel avec des engrais organiques, sans produits de synthèse. À l’époque, les quotas faibles permettaient d’explorer d’autres voies.
Ce choix s’est imposé pour préserver notre terroir. Produire un spiritueux, c’est valoriser une origine, un sol et un climat, d’où l’importance d’une approche respectueuse de l’environnement. Nous sommes persuadés que le bio influence le goût du raisin et cela nous permet de nous démarquer dans l’univers du Cognac.
Quelles pratiques mettez-vous en place pour respecter cette approche ?
Nous privilégions des ressources locales, comme le fumier de notre voisin, ainsi que des engrais verts cultivés sur notre domaine. Cela réduit notre empreinte carbone et enrichit nos sols. Historiquement, la viticulture était entièrement biologique avant l’apparition des intrants dans les années 1960. En réalité, les tout premiers cognacs créés étaient sûrement bio. Nous cherchons à retrouver ces pratiques traditionnelles.
Quels ont été les principaux changements sur votre exploitation avec le passage au bio ?
Jean-Luc a mené une réflexion profonde sur sa manière de travailler. Le principal objectif a été de redonner vie au sol et apprendre à lutter contre les maladies fongiques sans l’utilisation de CMR (L’un des objectifs était d’arrêter les produits classés CMR). Notre domaine étant de petite taille, cela nous a permis d’adopter une approche plus précise et réfléchie. Les traitements biologiques sont préventifs, ils n’enrayent pas les maladies une fois installées. Nous devons donc être très attentifs à la vigne et à la météo, notamment lors des années à forte pluviométrie.
Ce passage au bio a également influencé notre façon de vinifier. Nous utilisons des levures indigènes propres à chaque parcelle, une pratique encore peu répandue, mais qui permet d’exprimer pleinement notre terroir.
Enfin, il nous a fallu du temps pour développer une gamme de cognacs biologiques. Nous avons commencé par le VS puisqu’il fallait créer nos stocks avec des eaux-de-vie bio, puis nous avons commercialisé du VSOP et maintenant du XO.
Comment les consommateurs perçoivent-ils le Cognac biologique ?
La demande pour des produits bio ne cesse d’augmenter. Beaucoup de nos visiteurs viennent même nous voir pour notre approche bio justement ! Toutefois, il y a encore une grande part de pédagogie à faire, car certaines personnes pensent que le bio signifie « aucun traitement ». Nous faisons des parallèles avec la médecine humaine pour expliquer qu’il s’agit plutôt d’un suivi préventif et d’une approche différente de la viticulture. Nous sensibilisons aussi le public à l’importance de la consommation locale et responsable.
Vous êtes impliquée dans l’association Vitibio. Quel est son rôle ?
Vitibio existe depuis 1998 et nous faisons partie des fondateurs. L’association accompagne les viticulteurs déjà engagés, mais aussi ceux qui souhaitent passer au bio. Nous menons des essais pour réduire les doses de cuivre, tester de nouveaux produits à base d’algues ou d’essences végétales. Nous avons aussi créé des liens avec les instances pour mieux intégrer le bio dans la certification environnementale Cognac (CEC). C’est une reconnaissance pour tous ceux qui ont investi dans ces pratiques depuis longtemps.
Quel conseil donneriez-vous à un viticulteur qui hésite à se lancer dans le bio ?
Il ne faut pas avoir peur. Cela fait 30 ans que nous faisons du bio, et si nous n’avions pas de récolte, nous ne serions plus là ! D’autre part, les rendements actuels permettent de travailler en bio sans risque majeur. Aujourd’hui, nous sommes indépendants et nous ne le regrettons pas.
Quelle est votre plus grande fierté ?
Nos enfants, et tout ce que nous avons construit pour transmettre un héritage, un patrimoine durable. Nous avons passé dix ans à rénover notre vignoble et maintenant nous aménageons les bâtiments. Nous avons aussi fait des choix marketing audacieux en abandonnant les (comptes d’âge) dénominations classiques (VS, VSOP et XO), car cela ne correspondait pas à nos clients. C’est l’ensemble de nos choix qui nous rend fiers aujourd’hui.
Un dernier message à faire passer ?
Chaque viticulteur doit avancer à son rythme selon ses propres moyens. Il n’y a pas qu’un seul chemin. L’essentiel, c’est de progresser vers de meilleures pratiques, peu importe le label choisi.